On n’aime pas l’ironie facile et répétitive. On savoure l’ironie brillante, voire la cinglante.
On pense que l’humour est bon et aimant et l’ironie méchante et insultante. L’ironie se voit accusée de manque de charité. Elle est dite cruelle, féroce, atroce. Il est communément admis que la fin de l’ironie est de critiquer et ridiculiser autrui.
Par exemple, à l’encontre de l’infraction de mensonge, l’ironie se veut en apparence un jugement clément. L’ironie consacre une relation ludique avec le réel.
L’ironie se fonde sur une sincérité feinte et une fausse solidarité avec sa victime. L’ironie joue sur les formes trompeuses ; elle est un piège sournois que l’on aime ou non détecter, selon le plaisir plus ou moins grand que l’on éprouve à produire un effort pour y parvenir. Pour d’aucuns, n’est ironie que la transparente. Dissimuler certes, mais au vu et au su tous. Sus à l’ironie occultée !
Quand l’ironie n’est pas remarquée, que devient-elle ? C’est le pied de la lettre qui triomphe.
Que l’on se rappelle l’épisode des Celtes se moquant d’Alexandre le Grand. Le géographe grec Strabon dans son Livre VII, chapitre 3, sur la Germanie méridionale, raconte à l’attention d’Auguste que le grand Macédonien rencontra une députation de Celtes sur les bords du Danube : « Il fit à ces Barbares le plus cordial accueil, et, dans la chaleur du festin, se prit à leur demander ce qu'ils redoutaient le plus au monde, croyant bien qu'ils allaient prononcer son nom ; mais leur réponse fut qu'ils ne redoutaient rien que de voir le ciel tomber sur eux que, du reste, ils attachaient le plus haut prix à l'amitié d'un homme tel que lui. Or, n'avons-nous pas là encore la preuve de la simplicité barbare (…) ces ambassadeurs gaulois (nom donné aux Celtes par les Romains) qui déclarent ne rien craindre au monde, mais ne rien tant priser aussi que l'amitié des grands hommes ! »
Comme le commente l’écrivain Jean-Paul Savignac, l'anecdote met en évidence la témérité et l'outrecuidance de ces Celtes qui ne s'estiment pas moins que leur royal interlocuteur. Ces guerriers ne craignent pas la mort, ils ne craignent pas même que le ciel leur tombe sur la tête – un bon mot signifiant qu’ils ne craignaient que l’impossible, donc rien. Mais les auteurs romains ont pris le mot à la lettre et le résultat est qu’encore aujourd’hui, on se moque de nos « ancêtres les Gaulois » en les prenant pour des crédules…
L'ironie n’est jamais universelle et Georges Palante (philosophe et sociologue français de parents d’origine liégeoise) faisait remarquer en 1906 qu’elle n'est guère goûtée, ni même comprise par les foules et par les collectivités. Quand il affronte la multitude, l’ironisant pratique une sorte d’examen de passage à son public pour vérifier sa « compétence idéologique » (Maria Constantinou, enseignante au Collège Phillips, Chypre). Selon Elisabeth Malick, enseignante à Lyon 2, l’ironie consiste à imiter la norme et doit donc se montrer discrète au niveau des moyens mis en oeuvre.
Le philosophe Vladimir Jankelevitch a écrit « L’Ironie » en 1936 : « On ne saurait s'étonner que l'ironie offre certains dangers, tant pour l'ironiste lui-même que pour ses victimes. La manoeuvre est risquée, et, comme tout jeu dialectique, elle ne réussit que de justesse: un millimètre en deçà, - et l'ironiste est la risée des hypocrites; un millimètre au delà, - et il se trompe lui-même avec ses propres victimes ; faire cause commune avec les loups, c'est de l'acrobatie et qui peut coûter cher à un maladroit. »
Sur le site Fabula, on étudie notamment la place de l’ironie dans la littérature. On y lit : « Jankélévitch emprunte aux Pensées de Pascal la dialectique de l'habile et du semi-habile: face au pouvoir politique, qui veut faire passer pour une grandeur naturelle sa simple grandeur d'établissement, l'individu peut adopter trois attitudes. Le naïf croit ce que lui dit le pouvoir, qu'il est bel et bien une grandeur naturelle. Le semi-habile est celui qui se rend compte de la fiction sur laquelle repose l'État, et qui la dénonce. L'habile, enfin, s'est lui aussi rendu compte de la vérité, mais il sait plus encore quelles sont les vertus de la tranquillité et de la stabilité: ainsi se comporte-t-il exactement comme le naïf, mais avec «l'idée de derrière» qui fait toute la différence. Mutatis mutandis, Jankélévitch met l'ironie du côté du semi-habile et l'humour du côté de l'habile. L'ironie consiste à critiquer et à montrer les insuffisances et les contradictions du monde et des hommes; l'humour consiste à aller jusqu'au bout de cette logique en acceptant ces contradictions et en les assumant: l'humoriste, après tout, n'est pas en dehors de l'humanité. »
On pense que l’humour est bon et aimant et l’ironie méchante et insultante. L’ironie se voit accusée de manque de charité. Elle est dite cruelle, féroce, atroce. Il est communément admis que la fin de l’ironie est de critiquer et ridiculiser autrui.
Par exemple, à l’encontre de l’infraction de mensonge, l’ironie se veut en apparence un jugement clément. L’ironie consacre une relation ludique avec le réel.
L’ironie se fonde sur une sincérité feinte et une fausse solidarité avec sa victime. L’ironie joue sur les formes trompeuses ; elle est un piège sournois que l’on aime ou non détecter, selon le plaisir plus ou moins grand que l’on éprouve à produire un effort pour y parvenir. Pour d’aucuns, n’est ironie que la transparente. Dissimuler certes, mais au vu et au su tous. Sus à l’ironie occultée !
Quand l’ironie n’est pas remarquée, que devient-elle ? C’est le pied de la lettre qui triomphe.
Que l’on se rappelle l’épisode des Celtes se moquant d’Alexandre le Grand. Le géographe grec Strabon dans son Livre VII, chapitre 3, sur la Germanie méridionale, raconte à l’attention d’Auguste que le grand Macédonien rencontra une députation de Celtes sur les bords du Danube : « Il fit à ces Barbares le plus cordial accueil, et, dans la chaleur du festin, se prit à leur demander ce qu'ils redoutaient le plus au monde, croyant bien qu'ils allaient prononcer son nom ; mais leur réponse fut qu'ils ne redoutaient rien que de voir le ciel tomber sur eux que, du reste, ils attachaient le plus haut prix à l'amitié d'un homme tel que lui. Or, n'avons-nous pas là encore la preuve de la simplicité barbare (…) ces ambassadeurs gaulois (nom donné aux Celtes par les Romains) qui déclarent ne rien craindre au monde, mais ne rien tant priser aussi que l'amitié des grands hommes ! »
Comme le commente l’écrivain Jean-Paul Savignac, l'anecdote met en évidence la témérité et l'outrecuidance de ces Celtes qui ne s'estiment pas moins que leur royal interlocuteur. Ces guerriers ne craignent pas la mort, ils ne craignent pas même que le ciel leur tombe sur la tête – un bon mot signifiant qu’ils ne craignaient que l’impossible, donc rien. Mais les auteurs romains ont pris le mot à la lettre et le résultat est qu’encore aujourd’hui, on se moque de nos « ancêtres les Gaulois » en les prenant pour des crédules…
L'ironie n’est jamais universelle et Georges Palante (philosophe et sociologue français de parents d’origine liégeoise) faisait remarquer en 1906 qu’elle n'est guère goûtée, ni même comprise par les foules et par les collectivités. Quand il affronte la multitude, l’ironisant pratique une sorte d’examen de passage à son public pour vérifier sa « compétence idéologique » (Maria Constantinou, enseignante au Collège Phillips, Chypre). Selon Elisabeth Malick, enseignante à Lyon 2, l’ironie consiste à imiter la norme et doit donc se montrer discrète au niveau des moyens mis en oeuvre.
Le philosophe Vladimir Jankelevitch a écrit « L’Ironie » en 1936 : « On ne saurait s'étonner que l'ironie offre certains dangers, tant pour l'ironiste lui-même que pour ses victimes. La manoeuvre est risquée, et, comme tout jeu dialectique, elle ne réussit que de justesse: un millimètre en deçà, - et l'ironiste est la risée des hypocrites; un millimètre au delà, - et il se trompe lui-même avec ses propres victimes ; faire cause commune avec les loups, c'est de l'acrobatie et qui peut coûter cher à un maladroit. »
Sur le site Fabula, on étudie notamment la place de l’ironie dans la littérature. On y lit : « Jankélévitch emprunte aux Pensées de Pascal la dialectique de l'habile et du semi-habile: face au pouvoir politique, qui veut faire passer pour une grandeur naturelle sa simple grandeur d'établissement, l'individu peut adopter trois attitudes. Le naïf croit ce que lui dit le pouvoir, qu'il est bel et bien une grandeur naturelle. Le semi-habile est celui qui se rend compte de la fiction sur laquelle repose l'État, et qui la dénonce. L'habile, enfin, s'est lui aussi rendu compte de la vérité, mais il sait plus encore quelles sont les vertus de la tranquillité et de la stabilité: ainsi se comporte-t-il exactement comme le naïf, mais avec «l'idée de derrière» qui fait toute la différence. Mutatis mutandis, Jankélévitch met l'ironie du côté du semi-habile et l'humour du côté de l'habile. L'ironie consiste à critiquer et à montrer les insuffisances et les contradictions du monde et des hommes; l'humour consiste à aller jusqu'au bout de cette logique en acceptant ces contradictions et en les assumant: l'humoriste, après tout, n'est pas en dehors de l'humanité. »
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