vendredi 20 août 2010

Faut-il sauver les belgicismes (francophones) ?

Chaque année, il est fait une grande publicité à propos de l’entrée de belgicismes dans les dictionnaires français, considérée comme la preuve indiscutable d’une reconnaissance officielle sinon de nos particularismes linguistiques, de nos besoins spécifiques : que vaudrait dans nos contrées un dictionnaire qui ne nous aiderait pas à définir nos usages du chicon, de la drache, du logopède, de la margaille, de la tirette et d’autres carabistouilles ? La Communauté française de Belgique est un marché à ne pas négliger.

C’est à sa collaboration avec le centre de recherche Valibel (Variétés Linguistiques du français en Belgique, basé à l’UCL) que le Petit Robert doit son enrichissement à avoir accueilli dans son édition 2008 brol, chipoter, copion, guindaille, vidange (dans son sens de bouteille consignée), etc.

Mais il faut bien de constater que les belgicismes aimablement officialisés sont peu nombreux eu égard à l’amplitude de nos régionalismes. Si bien qu’en parallèle, la Belgique francophone continue à produire à foison d’engageants dictionnaires des belgicismes, à la recherche de l’exhaustivité (2200 items pour le Dictionnaire des belgicismes, Michel Francard et al., août 2010). Dans ces ouvrages, le belge francophone se retrouve vraiment chez lui, se régalant d’une auto-reconnaissance complète de son langage autonome. On n’est jamais mieux servi que par soi-même.

De la sorte, le belge francophone prend sa revanche sur le discours puriste. Il marque ses frontières. Il proclame ses distances. En 1806, Antoine Fidèle Poyart publiait un recueil intitulé : Flandricismes, wallonismes et expressions impropres dans le langage français, ouvrage dans lequel on indique les fautes que commettent fréquemment les Belges en parlant l'idiome français ou en l'écrivant; avec la désignation du mot ou de l'expression propre, ainsi que celle des règles qui font éviter les fautes contre la syntaxe.
Poyart était un citoyen né à Arras, venu enseigner à Bruxelles à une époque où la Belgique n'avait pas encore accédé à l'indépendance et était sous la domination française. Il s’agissait pour lui d’amener le français des Belges au niveau de celui des Français « de souche », tous étant alors réunis dans la même nation.
A titre d’exemple, Poyart récuse l’usage de verbe dormir à la place du verbe coucher. « J’ai dormi chez mon frère » (d’usage en Belgique) doit se dire « J’ai couché chez mon frère », puisque le verbe dormir ne peut se rapporter qu’à l’état de sommeil, tandis que le verbe coucher a trait à l’action de passer la nuit. La nuance est fine et non dénuée d’ambigüité.

Napoléon ayant été défait à Waterloo, l’idiome belgo-français mérite aujourd’hui d’être étudié avec davantage de profondeur. L’étymologie de ses mots et de ses acceptions est souvent introuvable (à l’exception des flandricismes plus aisément identifiés).

Mais à force de recevoir la consécration, les belgicismes deviennent de redoutables pièges lorsque les Belges entrent en contact avec des Français. Progressivement, le belge francophone ne se rend plus compte qu’il est devenu énigmatique car tous ont déserté le triste devoir de lui rappeler que nombre de ses expressions relèvent du sabir si elles sont entendues hors du pays.

Sur un autre registre, l’expérience de Maître Misson est amusante.

Et quel supplice pour l’écrivain belge francophone qui se doit d’extirper de son œuvre toute trace de belgicisme quand il veut être compris du public français ou lu sans trop de condescendance.

Le débat est certainement infiniment plus complexe.

* L’éminent sémioticien d’origine verviétoise, incidemment conseiller du Larousse, Jean-Marie Klinkenberg, plaide pour le polycentrisme linguistique et donne des leçons sur le thème de l’écriture qui échappe à la langue.

* A-t-on le droit de « mal écrire », s’interroge bien à propos le suisse Jérôme Meizoz.

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