samedi 17 juillet 2010

Sur l’ironie (un peu de philosophie dans les arts)

L’ironie peut être impertinente, douce, tendre, légère, tragique, mélancolique, amère, mordante. Elle est souvent confondue pêle-mêle avec l’humour, le sarcasme, la moquerie, la dérision. Parfois, elle se limite même à l’autodérision. Le sort peut regorger d’ironie, l’histoire n’est pas en reste.
On n’aime pas l’ironie facile et répétitive. On savoure l’ironie brillante, voire la cinglante.
On pense que l’humour est bon et aimant et l’ironie méchante et insultante. L’ironie se voit accusée de manque de charité. Elle est dite cruelle, féroce, atroce. Il est communément admis que la fin de l’ironie est de critiquer et ridiculiser autrui.
Par exemple, à l’encontre de l’infraction de mensonge, l’ironie se veut en apparence un jugement clément. L’ironie consacre une relation ludique avec le réel.
L’ironie se fonde sur une sincérité feinte et une fausse solidarité avec sa victime. L’ironie joue sur les formes trompeuses ; elle est un piège sournois que l’on aime ou non détecter, selon le plaisir plus ou moins grand que l’on éprouve à produire un effort pour y parvenir. Pour d’aucuns, n’est ironie que la transparente. Dissimuler certes, mais au vu et au su tous. Sus à l’ironie occultée !
Quand l’ironie n’est pas remarquée, que devient-elle ? C’est le pied de la lettre qui triomphe.
Que l’on se rappelle l’épisode des Celtes se moquant d’Alexandre le Grand. Le géographe grec Strabon dans son Livre VII, chapitre 3, sur la Germanie méridionale, raconte à l’attention d’Auguste que le grand Macédonien rencontra une députation de Celtes sur les bords du Danube : « Il fit à ces Barbares le plus cordial accueil, et, dans la chaleur du festin, se prit à leur demander ce qu'ils redoutaient le plus au monde, croyant bien qu'ils allaient prononcer son nom ; mais leur réponse fut qu'ils ne redoutaient rien que de voir le ciel tomber sur eux que, du reste, ils attachaient le plus haut prix à l'amitié d'un homme tel que lui. Or, n'avons-nous pas là encore la preuve de la simplicité barbare (…) ces ambassadeurs gaulois (nom donné aux Celtes par les Romains) qui déclarent ne rien craindre au monde, mais ne rien tant priser aussi que l'amitié des grands hommes ! »
Comme le commente l’écrivain Jean-Paul Savignac, l'anecdote met en évidence la témérité et l'outrecuidance de ces Celtes qui ne s'estiment pas moins que leur royal interlocuteur. Ces guerriers ne craignent pas la mort, ils ne craignent pas même que le ciel leur tombe sur la tête – un bon mot signifiant qu’ils ne craignaient que l’impossible, donc rien. Mais les auteurs romains ont pris le mot à la lettre et le résultat est qu’encore aujourd’hui, on se moque de nos « ancêtres les Gaulois » en les prenant pour des crédules…
L'ironie n’est jamais universelle et Georges Palante (philosophe et sociologue français de parents d’origine liégeoise) faisait remarquer en 1906 qu’elle n'est guère goûtée, ni même comprise par les foules et par les collectivités. Quand il affronte la multitude, l’ironisant pratique une sorte d’examen de passage à son public pour vérifier sa « compétence idéologique » (Maria Constantinou, enseignante au Collège Phillips, Chypre). Selon Elisabeth Malick, enseignante à Lyon 2, l’ironie consiste à imiter la norme et doit donc se montrer discrète au niveau des moyens mis en oeuvre.
Le philosophe Vladimir Jankelevitch a écrit « L’Ironie » en 1936 : « On ne saurait s'étonner que l'ironie offre certains dangers, tant pour l'ironiste lui-même que pour ses victimes. La manoeuvre est risquée, et, comme tout jeu dialectique, elle ne réussit que de justesse: un millimètre en deçà, - et l'ironiste est la risée des hypocrites; un millimètre au delà, - et il se trompe lui-même avec ses propres victimes ; faire cause commune avec les loups, c'est de l'acrobatie et qui peut coûter cher à un maladroit. »
Sur le site Fabula, on étudie notamment la place de l’ironie dans la littérature. On y lit : « Jankélévitch emprunte aux Pensées de Pascal la dialectique de l'habile et du semi-habile: face au pouvoir politique, qui veut faire passer pour une grandeur naturelle sa simple grandeur d'établissement, l'individu peut adopter trois attitudes. Le naïf croit ce que lui dit le pouvoir, qu'il est bel et bien une grandeur naturelle. Le semi-habile est celui qui se rend compte de la fiction sur laquelle repose l'État, et qui la dénonce. L'habile, enfin, s'est lui aussi rendu compte de la vérité, mais il sait plus encore quelles sont les vertus de la tranquillité et de la stabilité: ainsi se comporte-t-il exactement comme le naïf, mais avec «l'idée de derrière» qui fait toute la différence. Mutatis mutandis, Jankélévitch met l'ironie du côté du semi-habile et l'humour du côté de l'habile. L'ironie consiste à critiquer et à montrer les insuffisances et les contradictions du monde et des hommes; l'humour consiste à aller jusqu'au bout de cette logique en acceptant ces contradictions et en les assumant: l'humoriste, après tout, n'est pas en dehors de l'humanité. »

lundi 12 juillet 2010

Espagne - Pays-Bas, que reste-t-il de leur réunion ?

Un hymne national (Le Guillaume, attribué dans son texte définitif de 1572 à de Marnix) qui atteste : «Guillaume de Nassau / je suis, de sang germanique, / à la patrie fidèle / je reste jusque dans la mort. / Un Prince d'Orange / je suis, franc et courageux, / le Roi d'Espagne / j'ai toujours honoré.» ?
Les Pays-Bas et l’Espagne ont déjà été réunis à une époque où l’on jouait au ‘foteballe’ dans les rues de Londres au grand dam d’Elisabeth 1er.
Un peu d’histoire. Les entités féodales des Pays-Bas en lutte contre l’Empire germanique avaient été rassemblées dès 1467 dans les Etats bourguignons sous Philippe Le Bon, puis Charles le Téméraire. Les ducs de Bourgogne avaient l’ambition de constituer une vaste puissance intermédiaire entre la France et le saint Empire.
Fille unique de Charles et d’Isabelle de Bourbon, Marie de Bourgogne épouse Maximilien Ier de Habsbourg. A la mort de Charles, sans fils héritier, les possessions bourguignonnes sont divisées et les Etats Bourguignons du nord échoient à la Maison autrichienne des Habsbourg.
Marie et Maximilien donneront naissance à Philippe (le Beau), qui épousera en 1496, à 18 ans, Jeanne la folle. Jeanne la Loca est espagnole (Tolède). Philippe et Jeanne auront un fils Charles, né à Gand. D’autrichiens, les Habsbourg sont un temps hispano-hollandais. Après avoir bataillé un peu partout en Europe, Charles, devenu Charles Quint, abdique en 1555 et les Pays-Bas sont légués à son fils Philippe II, né à Valladolid.
Alors que les riches Pays-Bas avaient constitué le moteur de l’empire de Charles Quint, de culture néerlandaise (il avait passé sa jeunesse aux Pays-Bas), Philippe II, de culture espagnole, privilégia les richesses venues d’Amérique et le combat contre la France. Dès 1567, les 7 provinces à majorité protestante s’engagèrent dans une longue lutte d’indépendance jusqu’à la Paix de Münster de 1648 (proclamation de la République). L’hymne de 1572 célèbre un roi d’Espagne qui a encore quelque crédit dans le pays. Mais on se souviendra que les massacres perpétrés par Fernando Alvarez (le duc d'Albe), vice-roi des Pays-Bas de 1563 à 1573, avec le soutien du pape Pie V, ne firent que démultiplier la « révolte des gueux ».
La révolution calviniste hollandaise s’est évertuée à faire disparaître les traces du vieux catholicisme. Le touriste avisé prendra un certain plaisir à repérer les dégâts encore visibles aujourd’hui provoqués par l’iconoclasme protestant (voir la cathédrale Saint-Martin d’Utrecht et l’église Saint-Etienne de Nimègue).
Mais si le touriste déniche peu de traces de l’Espagne aux Pays-Bas, ce n’est pas en raison de l’iconoclasme. Les Espagnols débusqués n’ont guère eu le temps d’influencer le pays. L’inverse n’est pas vrai.
On rapporte la passion de Philippe II pour l’œuvre de Jérôme Bosch (dit El Bosco, né vers 1450 à 's-Hertogenbosch où il est mort vers 1516). Le roi d’Espagne chercha à s’approprier toute l’œuvre du peintre hollandais que d’aucuns considèrent comme hermétique. Le souverain fut sans doute abusé par des pasticheurs. Quoi qu’il en soit, on profite de sa collection au Musée du Prado (Madrid). Mention spéciale aux « 7 péchés capitaux » que Philippe II prit selon certains à titre de pense-bête.
Fray José de Sigüenza, conseiller de Philippe II, n’a-t-il pas merveilleusement ramassé l’oeuvre : « La différence qu'il me paraît y avoir entre les tableaux de Bosch et ceux des autres est que ces derniers ont toujours voulu peindre l'homme tel qu'on le voit du dehors ; Bosch, lui, a le courage de le peindre tel qu'il est intérieurement. »

samedi 10 juillet 2010

Peut-on débattre de l'avenir de la culture ? Oui !

On nous adresse fort à propos un article de Ouest-France 'Peut-on débattre de l'avenir de la culture?' :

"Désormais, l'art et la culture sont d'abord un simple sujet comptable, ce qui les éloigne du débat public. (…) Dans les conseils municipaux, les structures associatives ou au Parlement, le débat public « sur le fond » est inexistant. (…) Non seulement l'État n'est plus en mesure d'imposer ses choix, c'est-à-dire d'arbitrer et d'impulser, mais il est absent pour penser, concevoir l'avenir culturel de l'ensemble du territoire."

Sans vouloir prétendre pallier cette absence, ne nous avouons pas vaincus de si tôt. Au-delà des particularismes français, la question de la politique culturelle des Etats nous intéresse, tout spécialement celle menée en Belgique.

La Déclaration de Politique Communautaire (DPC) de Juillet 2009 porte en son centre (pages 115 et suivantes) les priorités issues des Etats généraux de la Culture (2005) qui « restent d’actualité » : 1. renforcer l’accès et la participation des publics ; 2. améliorer la gouvernance de la culture ; 3. garantir les moyens de la politique culturelle ; 4. soutenir les artistes et les créateurs ; 5. renforcer les différents secteurs culturels ; 6. soutenir le développement de nouvelles formes d’expression, notamment grâce aux évolutions technologiques ; 7. assurer un développement territorial et économique harmonieux de la culture. On se reportera à la DPC pour en connaître le détail.

On lira avec intérêt les travaux d’Anne-Marie Autissier (2006) qui résument les politiques culturelles des gouvernements d'Europe occidentale depuis les '50, comme suit par : démocratisation culturelle (1950/1980), appui à la professionnalisation du secteur (1980/1990), débat sur le renouvellement des politiques culturelles dans un contexte de globalisation économique et de développement des technologies de l'information (1990-2000). L'auteur ajoute l'attention aux processus interculturels.


mercredi 7 juillet 2010

Expositions, Conférences et Ateliers dès la rentrée de septembre

Suite aux cafés citoyens, certains se sont proposés pour collaborer à d'autres séances, ont imaginé des thèmes de débat ou pressenti des invités pour lancer les discussions. Les projets sont à l'étude...

Nous envisageons une petite visite en groupe à la Foire du Livre politique de Liège, où nous pourrions revoir Jérôme Jamin.
On parle déjà de donner des suites locales à la conférence sur le Proche-Orient préparée par MEDEA.

Tout cela s'ajoute à un programme prévisionnel déjà bien chargé, dont le déroulement se précise peu à peu. Voyez l'agenda de septembre à novembre 2010.
Notez en particulier l'atelier de mini-mural pour les 5 à 10 ans et l'après-midi consacrée à l'art public et l'artiste contemporain, pour lesquels il faut réserver.

La fin justifie-t-elle les moyens?

"La Culture, un Produit comme les autres?" (28 juin 2010, ci-dessous) vantait les mérites des organisateurs d'événements footbalistiques de la conception à la diffusion du produit et de ses à côtés.
Le Monde.fr publie une réflexion intéressante du point de vue citoyen (Football : l'illusion pédagogique et politique

Les prétendues vertus du foot, qui seraient -tout aussi prétendument- pourries par l'argent ou les médias, n'en sont pas :
- Comme dans tout sport, l'action collective est orientée vers la défaite de l'adversaire. Elle ne peut donc servir de modèle social, éducatif ou politique.
- Au foot en particulier, les règles rendent la triche décisive. C'est la raison du succès du foot: dominer n'est pas gagner ; il est possible d'avoir des surprises. Le foot étant contre les valeurs des jours ordinaires, il doit être perçu comme un carnaval. Faire du football un enjeu politique ou éducatif est non seulement vain mais dangereux car illusoire.

Le développement suscite plusieurs remarques. Par exemple :

- La relation entre la méritocratie et l'action orientée vers la défaite de l'adversaire mériterait d'être approfondie : en effet, le méritant ne l'est-il pas nécessairement par rapport à un/des autre(s) ?
La question a été abordée lors des cafés citoyens du programme "Aux Arts, etc.", un participant ayant regretté le mode scolaire (le premier de classe l'est au détriment d'autres).
- L'homme a tendance à se grouper pour aboutir. Dans notre société, les associations de défense d'intérêts sont valorisées, comme l'expression d'un dynamisme et la marque d'une liberté d'opinion. Les démarches entreprenantes et entrepreneuriales sont pareillement considérées.
La société à laquelle B. Lefevre fait allusion est un idéal.
Faut-il promouvoir les valeurs idéales ou permettre au plus grand nombre de s'exercer aux pratiques en vigueur ?

Vous n'avez pas encore choisi de livre à emporter en vacances? Pourquoi ne pas (re)lire la Critique de la Raison Pratique d'Emmanuel Kant qui pose les jalons de l'éthique et de la philosophie morale ?

samedi 3 juillet 2010

Qu'est-ce que la littérature?

En France, un collectif de professeurs a lancé une pétition contre l'introduction dans le programme du baccalauréat littéraire 2010 du tome III des Mémoires du général De Gaulle : "Proposer De Gaulle aux élèves est une négation de notre discipline. Nul ne songe à discuter l'importance historique de ses écrits. Mais enfin, de quoi parlons-nous? de Littérature ou d'Histoire?".

Le Ministère de l'Education, qui confectionne les programmes officiels, considère qu'étant publié à la Pléiade, l'ouvrage est une "oeuvre-clef du patrimoine littéraire".

Voici ce qu'en pensent quelques notables :

"Que De Gaulle soit un grand écrivain, un écrivain tout court ou un écrivain très médiocre, peu importe, il a autant sa place dans un programme littéraire. Les listes de bac ne sont pas toujours remplies de grands textes, ce n'est pas le propos." F. Bégaudeau

"Les gens confondent littérature et fiction et pour beaucoup il n'y a d'écrivain que le romancier". Pierre Assouline

"(...) compte tenu de déséquilibres vertigineux de ce programme -rien entre Homère et Beckett- sa justification paraît bien fragile, (...) les places sont chères: n'y avait-il pas des oeuvres qu'il était plus urgent de découvrir et d'étudier?" Vincent Delecroix
ndlr: quatre auteurs seront étudiés en vue du bac 2011: Homère, Beckett, Quignard et De Gaulle

Dans la revue littéraire 'Œuvres Ouvertes', Laurent Margantin estime quant à lui qu'il y a "(...) un embrigadement actuel du culturel par la politique".

Lors du choix par le Ministère des oeuvres à étudier en 2011, les enseignants, jusque là tradionnellement consultés, ne l'ont pas été. Le Ministère ne répond pas aux réclamations que ces derniers lui adressent.

Les arguments foisonnent sur le net. Chantal Vieuille, éditrice, vaut la peine d'être lue :
http://lelivrealacarte.over-blog.com/article-qu-est-ce-que-la-litterature-51736426.html
Que penser du lien entre art et pouvoir?

Vos réactions sont les bienvenues ; elles contribueront à préparer la séance du 27 Novembre 2010 de 14 à 18 heures, qui sera consacrée à l'art public et l'artiste contemporains.