samedi 20 novembre 2010

Pourquoi parle-t-on le français (ou presque) à Verviers ? (4ème partie)

A la fin du VIIème siècle, la région de Verviers est sous l’influence de la Principauté de Stavelot-Malmedy, dirigée par un prince-abbé, vassal. Les propriétés abbatiales sont soustraites partiellement à l’autorité du roi des Francs (système de l’immunité fiscale et autonomie pour la basse justice).

Un des princes-abbés, Saint-Anglin, qui régna 44 ans (jusqu’en 746), est connu grâce à un diplôme de Chilpéric III dans lequel le maire du palais, Carloman, fils de Charles Martel, restitue Lethernau (Lierneux) à l’Abbaye de Stavelot. Ce découpage inattendu reste d’actualité : Lierneux, excroissance de la Province de Liège dans celle du Luxembourg, fait partie de l’arrondissement de Verviers.

De son côté, Liège connaît un essor rapide grâce à l’évêque Saint-Hubert, dès 722, au détriment de Maastricht et de Tongres. En effet, étonnamment, ce n’est qu’à partir de cette date que l’on peut considérer Liège comme une cité qui ‘compte’. On peut émettre l’hypothèse qu’en réalité, Liège (villa Leodia) était une position de repli pour l’église, davantage distante de l’influence païenne des
Frisons qui ne s’évangélisèrent qu’en 785.

L’Abbaye de Stavelot
est placée sous le contrôle de l’Eglise de Cologne. Le parcours de Saint-Agilolfe, abbé de Stavelot, évêque de Cologne (en 747), qui, ayant abdiqué, serait, selon certaines sources, revenu à Stavelot, témoigne des liens entre les deux sites.

L’influence organisatrice de Saint-Boniface de Mayence (tué en 754 par les Frisons à Dokkum) est également importante : Saint-Boniface est à l’origine du ‘coup d’Etat’ qui mit fin au règne de la dynastie mérovingienne en 751.
Cela étant, l’Eglise catholique de Cologne emploie le latin et ne participe pas à la diffusion de l’idiome moyen-allemand.

Reprenons brièvement l’histoire des Carolingiens, soit celle de la prise du pouvoir d’une famille au sein des institutions franques : elle débute, en 630, avec le mariage de la fille de Pépin de Landen (maire du Palais d’Austrasie) avec le fils de Saint Arnulf, évêque de Metz issu d’une vieille lignée de l’aristocratie franque. De ce mariage naquit Pépin de Herstal qui prendra le contrôle des royaumes francs en 690.

Pourquoi Herstal ? Herstal est situé le long de l’ancienne voie romaine reliant Tongres à Trèves (et à Aix-la-Chapelle en bifurquant vers Herve à Fléron) qui traverse à cet endroit la Meuse (gué). Au VIIème siècle, il faut attendre l’été pour passer le fleuve pour partir en guerre vers l’est. Disposer d’un palais à Herstal présente un avantage stratégique à une époque où il faut contrôler la Neustrie (Paris) et l’Austrasie (Cologne). Les Carolingiens bâtissent également une résidence à Jupille, en face d’Herstal.

Pépin de Herstal meurt en 714 et après quelques péripéties, le fils issu de son second mariage, Charles Martel devient de facto souverain du royaume des francs, sans porter le titre de roi, de 717 à 741 (en 737, il décide même de ne pas remplacer le roi Thierry IV, décédé).

C’est un des fils de Charles Martel, Pépin le Bref, qui met fin en 751 à la dynastie mérovingienne et devient roi des Francs. Charlemagne, un de ses fils, devient roi des Francs en 768. Empereur d’Occident, il meurt en 814.

Après le règne de Charlemagne qui a soumis progressivement les Saxons, païens (797-804) et qui a créé les Etats pontificaux (774), c’est la grande aventure lotharingienne (traité de Prüm, 855 et ses suites : création de la Francie orientale ; Saint Empire germanique) et l’émiettement du territoire en une multitude de comtés et de duchés, dont le Duché de Limbourg à la longue histoire (1046-1806, sous domination du Brabant à partir de 1268), entité multilingue s’il en est.

Et les langues dans tout cela ? Il est permis de penser que les rois francs et les carolingiens continuèrent à parler le francique rhénan, dans la mesure où une de leurs préoccupations était d’élargir le royaume d’Austrasie vers l’est, ce que fit avec succès Charlemagne, qui avait fixé sa résidence principale à Aix-la-Chapelle. Mais l'unification politique réussie par Charlemagne ne dura pas assez longtemps pour que celui-ci imposât dans tout son empire une langue germanique.

Un élément historique nous apprend comment les langues ont évolué sous les Francs. En effet, le concile de Tours de 813, réuni à l'initiative de Charlemagne, prend une décision remarquable : dans les territoires correspondant à la France et l'Allemagne actuelles, les homélies ne seront plus prononcées en latin mais en «rusticam Romanam linguam aut Theodiscam, quo facilius cuncti possint intellegere quae dicuntur », c’est-à-dire dans la « langue rustique romaine » («langue romane de la campagne») ou dans la « langue tudesque » (germanique), afin que tous puissent plus facilement comprendre ce qui est dit ». (Canon 17)

C'est l'une des plus anciennes preuves qu'à cette époque le latin n'était plus ni parlé, ni compris par le peuple.

C’est du IXème siècle que proviennent les premières traces écrites d’une langue romane séparée du latin, précédant la langue d’oil : les Serments de Strasbourg (842) sont écrits en roman et en langue tudesque.

On peut douter que la version «romane» de ce traité entre deux princes carolingiens appartienne vraiment à la langue courante de l’époque. La version romane des Serments ne peut être considérée comme une représentation de la langue parlée au IXe siècle, car il ne s'agit nullement de la «langue romane rustique» parlée à l'époque, mais plutôt d’un texte rapporté par des lettrés et destiné à la lecture à haute voix.

Et Verviers ? Verviers, qui n’est citée qu’en 1131, est-elle habitée sous Charlemagne ? On note en tout cas que le site de Spa, habité aux IIème et IIIème siècles, est vraisemblablement abandonné au siècle suivant. Il faudra attendre le 12e siècle pour y retrouver les traces d'une occupation, selon les archéologues.

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