mercredi 22 septembre 2010

Pourquoi on parle le français (ou presque) à Verviers ? (II)

2ème partie : la colonisation franque
Verviers est à 15 km de la frontière séparant le français du néerlandais. On considère généralement que celle-ci date de l’époque romaine et est due à la présence durable des Francs Saliens (à partir de 358 après JC et davantage encore après 406, date de l’effondrement généralisé de la frontière rhénane de l’empire romain) : ceux-ci sont réputés avoir apporté dans le Limbourg et dans le Brabant belgo-hollandais une variante du germanique septentrional (devenu plus tard le bas-allemand), langue mère du flamand.
Cependant, l'histoire de l'installation des Francs dans le nord de l’actuelle Belgique reste mal connue, faute de sources historiques.
Certains faits sont quand même à considérer comme probables:
Au milieu du IIIème siècle, après plus de deux siècles de pacification, la domination romaine commence à péricliter au nord de l’empire. L’incursion victorieuse des Alamans vers la Suisse en 258 marque le début de la fin. Brusquement, le pouvoir à Rome ne contrôle plus sa frontière germanique. En réaction, l’armée romaine du Rhin proclame l’Empire des Gaules qui va durer de 260 à 274. Cet ‘Empire’ s’appuie sur les Francs.
En 275, après la réunification de l’empire sous Aurélien, les Francs (courroucés par une perte d’influence ?) ravagent Tongres et détruisent une soixantaine de vicus en Gaule (par exemple Valkenburg). Ils arrivent même à Paris. En 277, l’empereur Probus réorganise la Germanie romaine en intégrant les combattants francs dans l’armée romaine (d’après les Panégyriques latins et le récit de Zosime au Vème siècle). C’est le début d’une longue histoire…
Qui sont les Francs ?
En raison des lacunes des textes latins, l’origine des Francs s’est prêtée à de nombreuses hypothèses et légendes.
Tacite, qui se veut exhaustif dans son catalogue Germania (en 98), ne parle pas des Francs. Pour beaucoup, l’histoire des Francs s’identifie à celle des Sicambres (Sugambri chez Strabon), peuple germanique cité dans La Guerre des Gaules de Jules César. Les Sicambres occupent les immenses forêts de la rive droite du Rhin (au-delà de Cologne).
« Courbe la tête, fier Sicambre » aurait dit l’évêque de Reims, Rémi, à Clovis, roi des Francs, en 499 (?), selon l’histoire racontée un siècle plus tard par Grégoire de Tours (Histoire des Francs, II, 31).
Le nom ‘Francs’ apparaît dans Histoire Auguste (œuvre romaine attribuée par certains à Nicomaque Flavien, fin du IVème siècle) qui les situe comme ennemis en 240. En ce temps-là, Aurélien (qui n’est encore que tribun) parvient, selon le récit, à remettre les Francs à leur place, soit sur la rive droite du Rhin. Mais cet écrit date d’une époque où les Francs sont bien connus. Probus a combattu les Francs et le fils de l’empereur Constantin, Crispus, les a vaincu en 320.
Une identité entre les Sicambres et les Francs est établie dans des écrits romains du Vème siècle (Claudien, Sidoine Apollinaire). Les Romains ont effectivement combattu les Sicambres en 12 avant JC (campagne du général Drusus racontée au IIIème siècle par Dion Cassius). Les Sicambres sont considérés par les Romains comme les plus intransigeants et les plus influents des Germains (sans leur accord, Auguste ne peut pacifier la frontière du Rhin). Suétone avance au début du IIème siècle qu’Auguste et Tibère déportèrent juste avant notre ère les Sicambres sur la rive gauche du Rhin (le nombre symbolique de 40.000 est mentionné), ce qui en termina pour un temps avec la résistance des Germains à l’empire.
De cette funeste dispersion des Sicambres, on peut tirer qu’à l’époque de Clovis et sans doute bien auparavant, le terme ‘Sicambre’ serait devenu un épithète, synonyme de ‘résistant à la romanité, l’évêque Rémi l’utilisant en plaisanterie.
Une autre explication consiste à rappeler que les Francs étaient cités par les auteurs comme une appellation générique des peuples Germains, une ligue dont font partie les Saliens qui vont ensuite faire beaucoup parler d’eux.
Reprenons le fil de l’histoire :
Constantin 1er, qui règne de 306 à 337, rétablit la romanité dans la région, reconstruit les villes et les frontières. Il érige un château à Maastricht à partir des pierres des temples démolis. Tongres est reconstruite et devient siège épiscopal (caput civitatis) du diocèse. La religion chrétienne, religion embrassée par la cour de l’empereur, est introduite par un des ses proches, Saint Materne, évêque tout droit venu de la capitale provinciale Cologne. Si Verviers est encore habitée, elle devient en ce cas terre de chrétienté et reste latine. L’économie de l’esclavage survit.
A Tongres, Saint-Servais fait bâtir une première ‘cathédrale’ en 350, mais choisit d’installer ses quartiers à Maastricht.
Dès 358, les Francs dits Saliens s’installent durablement en Germanie inférieure (ou Germanie seconde comme on la dénomme depuis Dioclétien au début du IVème siècle), au nord de la voie romaine Cologne-Tongres et jusqu’à à l’Escaut (la région est dénommée Toxandrie - on tient cette histoire d’un texte contemporain). Ils y sont autorisés, venus en délégation à Tongres, par le futur empereur Julien (à l’époque césar de Constance II), en gardant leur roi, leur religion, leurs lois et leurs institutions pour autant qu'ils s'engagent à contribuer à la défense de l'empire.
Curieuse coïncidence que le tracé de la frontière linguistique actuelle (Flandre-Wallonie) corresponde approximativement à celui de la voie romaine, à deux ou trois kilomètres près jusque Hannut (la frontière remonte ensuite au nord jusqu’à Hélécine, mais nous sommes déjà en Brabant wallon) …



Une autre coïncidence aussi troublante réside dans le fait que la frontière entre le picard et le wallon épouse approximativement la frontière ‘wallonne’ entre les deux provinces romaines, la Belgique seconde et la Germanie seconde. On observe que cette limite correspond à celle du diocèse de Liège, institution fondée au IVème siècle et calquée sur les limites de la Germanie seconde, dont le centre fut à l’origine Tongres déjà évoqué et se déplaça à Liège au VIIème siècle. Le diocèse de Liège devint Principauté de Liège et disparut sous la République française qui instaura les départements.
Certains historiens répugnent à reconnaître aux Francs Saliens la paternité du néerlandais, car ils s’expliquent mal comment si peu nombreux, ils auraient pu avoir une telle influence en peu de temps. De plus, comment comprendre que leurs chefs devinssent romanisés en descendant vers le sud, passés le Tournaisis.


Pour résoudre l’énigme, une autre école affirme que la Belgique était déjà fortement germanisée avant les Romains, de sorte que c’est naturellement après la chute de l’empire que le néerlandais (qu’on pourrait continuer à appeler par commodité ‘vieux-francique’) s’est développé vers le sud jusque Bethune et Etaples au VIème siècle. Il aurait ensuite reflué vers le nord en raison de la christianisation (et ses grands domaines agricoles), en particulier en Principauté liégeoise. Mais est-il intelligible que les langues romanes ayant fait reculer le néerlandais jusqu’au Xème siècle se seraient divisées selon une frontière interne à l’empire romain depuis fort longtemps disparu: à l’ouest, le picard et à l’est, le wallon ? Le mystère reste entier !
[A suivre]

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